Que reste-t-il de l’Amitié entre les Peuples?

Chers lecteurs, en ce dernier mois à Moscou, n’ayant plus grand chose à faire à part les cours de russe et les musées, j’ai décidé de me lancer dans un reportage sur un endroit qui suscitait depuis un moment ma curiosité. 

Il y a à Moscou une Université hors du commun: l’Université de l’Amitié entre les Peuples autrefois université Lumumba. Créée à l’époque soviétique pour former l’élite communiste du Tiers-Monde, elle rassemble aujourd’hui encore des étudiants de plus de 140 nationalités dont une majorité venant d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Parmi les anciens on compte Jose dos Santos, président de l’Angola, le feu roi du Népal, le terroriste Carlos et Mahmoud Abbas entre autres. A la belle époque l’université était un véritable centre de formation à la révolution et nombre des ses professeurs avaient fait carrière au KGB. Les étudiants  de tous domaines avaient droit à une formation approfondie en marxisme-léninisme, l’idée étant de canaliser et contrôler les élites des pays fraîchement décolonisés pour en faire les révolutionnaires de demain.

J’ai donc pris le métro ce matin pour юго-западный, tout au bout de la ligne de métro au sud de Moscou, une grande question en tête: qu’est-ce qu’a pu devenir un lieu pareil après la chute de l’URSS?.. espérant y trouver les folles contradictions de la Russie d’aujourd’hui.

Iougo-zapadny n’est pas franchement beau, disons que jusqu’ici je vous ai épargné les photos parce qu’à Moscou, hors du centre, quand on est entouré de HLM déglingués à perte de vue, la première fois, ça fiche un coup. Et puis on s’habitue. Les russes appellent ces charmants édifices les Khrouchtcheveries en honneur à ce bon vieux Khrouchtchev qui fit de belles cochonneries architecturales. Ici il faut chercher tous les jours la beauté, car vivre sans beauté c’est pas facile, et elle se trouve bien souvent chez les gens, plus que dans les khrouchtcheveries.

En approchant déjà, je sens que je suis dans l’îlot multiculturel de Moscou, resto indiens, étudiants chinois assis sur une machine à laver à attendre je ne sais quoi… du jamais vu en 6 mois. Toujours est-il que j’ai fini par rejoindre la fameuse université. Un vrai bâtiment soviétique, imposant et gris, une large esplanade avec des fontaines, une sculpture géante représentant des hommes se tenant la main tout autour d’un globe. Et là, sur cette esplanade, un fourmillement d’étudiants, beaucoup d’africains, dix fois plus que l’addition de tous ceux que j’ai croisé depuis que je suis arrivée à Moscou. Car Moscou est tout sauf une ville multiculturelle, et l’immigration bien que très forte, vient majoritairement des ex-républiques soviétiques.Assis sur une fontaine, un jeune gars prend le soleil en faisant tremper ses pieds avec la musique orientale à fond. Je me balade un peu dans le parc et croise un jeune africain, « Vous parlez francais? » je demande en russe, « Da » me répond-il pas avenant du tout. Il continue à marcher, je le suis « Je peux vous poser quelques questions? ». Il a l’air très méfiant et répond par monosyllabe. Il a ses raisons, il  me les expliquera plus tard..

Premier portrait:

Jean, 25 ans, Dakar, Sénégal, étudiant en Relations Internationales

Jean n’a pas réellement choisi de venir à Moscou, de la même façon qu’il n’a pas vraiment choisi les relations internationales. « J’avais postulé à plein d’universités mais il n’y a que Moscou qui m’a accepté, j’aime pas vraiment étudier les relations internationales mais c’est un moyen pour voyager, en fait j’en ai marre des études je veux travailler. Ça fait 5 ans déjà que je suis là, mais c’est fini là, bientôt ». Et ici tu travailles aussi? « Ici comme étudiants étrangers, on a pas le droit de travailler, mais en même temps on doit travailler car la bourse est pas suffisante pour vivre, alors l’université organise des travaux, l’entretien, le ménage, la peinture des barrières. On bosse deux mois l’été, 8h par jours et on a le droit à 30.000 roubles (750 euros) mais c’est pas assez alors on bosse au noir, je bossais dans un club ici mais plus maintenant, j’ai eu des soucis, je me suis battu. Ici je me suis battu seulement une seule fois, et c’était cette fois là. Un russe très saoul au club m’a attrapé par l’oreille pour me provoquer. Alors je lui ai mis un coup de poing. La meilleure défense c’est l’attaque comme on dit. Pourtant je travaillais là, les vigiles me connaissaient, ils m’ont dit de ne pas frapper la prochaine fois mais de les appeler, j’ai du quitter le boulot. » Et vous logez où? « A l’Obchaga (le fameux dortoir pour étudiant à la russe), je partage ma chambre avec trois autres gars, un syrien, un chinois et un palestinien. Avant on était trois mais nous depuis peu c’est passé à quatre. On parle pas beaucoup entre nous, le minimum bonjour ça va. » Puis  il me demande si je suis vraiment française. « Oui pourquoi? » Je pensais que tu étais russe, je n’aurais pas accepté si tu étais russe. » Mais tu as des amis russe? « Oui, bien sûr, des amis où qu’on aille dans le monde on s’en fait. Là c’est une russe qui m’invite aujourd’hui à sa soutenance. Mais moi je veux pas de problème, je me méfie de tout, comme ça c’est mieux, tu sais c’est dangereux ici pour nous, on va au dortoir, à l’université, au travail et c’est tout. Les anciens nous l’avaient dit, apparemment dans les années 90 c’était pire. »C’est dur la vie ici? « Oui c’est dur, les russes sont fermés, c’est pas un bon pays. Ici je ne m’assois jamais dans le métro, je sais que je ne peux pas, si je le fais il peut se passer quelque chose, les gens s’écarteront, me parleront mal. Souvent dans la rue les gens me taclent en passant. Ici on est pas les bienvenus. Ici on entend toutes les histoires possibles, l’autre jour, en rentrant dans un bus, un ami a fait pleurer un enfant. Bon c’est normal, moi quand j’étais petit j’avais vraiment peur des blancs, et puis je me suis habitué. » Il rit d’un beau rire. On a brisé la glace, ça va mieux, je lui raconte moi aussi mon dortoir et mon université, le gars qui se faisait tremper les pieds nous rejoint. Ils discutent dans un russe courant, j’ai du mal à suivre. « C’est un copain iranien, il aime beaucoup la Russie, parce qu’il est pas noir lui. Et puis il peut faire ce qu’il veut ici, et pas dans son pays. On a tous des avis différents, tu verras. »Il me parle de la corruption ici. Les russes payent pour avoir une place à l’université.Et pour les notes c’est pareil, une bouteille de cognac, des chocolats, et tout peut s’arranger. « Le problème c’est qu’ici, certains professeurs vivent dans le passé. Ils regrettent l’époque communiste alors ils ont aigris. » Et tu as appris le russe super bien.. »Le russe m’intéresse pas, ici je désapprend l’anglais et le français surtout. Je veux pas rester, je préfère rentrer au Sénégal ou partir en Europe. Ce qui est sûr c’est que jamais j’oublierai ces 5 ans. » Le temps est passé vite, il doit rejoindre sa soutenance.

On se met d’accord pour se retrouver demain, avec son ami iranien aussi, l’air de rien à eux deux ils forment un tout petit bout d’amitié entre les peuples, ce qu’il en reste.

A propos Mary Thiry

Auteur - Réalisatrice - Chanteuse
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3 commentaires pour Que reste-t-il de l’Amitié entre les Peuples?

  1. Hugo dit :

    Très intéressant, le second portrait aussi, très vivant et bien vu! Juste une petite remarque là-dessus: »Car Moscou est tout sauf une ville multiculturelle, et l’immigration bien que très forte, vient majoritairement des ex-républiques soviétiques ». Ca me semble un tout petit peu rapide. Certes le Sénégalais que vous interrogez a des difficultés pour vivre en Russie, mais cela veut-il dire que la Russie n’est pas multiculturelle? Ne peut-on pas l’être de façon eurasienne, même si la logique de ce mélange des cultures ne se fait pas sur le même mode qu’en Occident (pour des raisons historiques et géographiques)? A mon sens la Russie est très multiculturelle, et elle l’est depuis bien plus longtemps que l’Europe et les Etats-Unis. C’est même dans l’ADN de l’Empire russe (puis de la Fédération), qui a intégré un grand nombre de peuples très différents au cours de son expansion, les Russes ayant notamment été conquis par les Tatars avant de les re-conquérir… C’est un vrai creuset, regardez le Tatarstan, avec sa Mosquée et son église orthodoxe dans le Kremlin… Cela dit il est vrai, chaque région de Russie est bâtie autour d’une culture majoritaire (russe pour Moscou, Bachkire pour Oufa, Bouriate etc.), le peuple russe (européen) étant le « maillon » qui relie toute cette diversité… Bon ça n’enlève rien à la pertinence de l’article cela dit! Bonne continuation!

  2. Marikouchka dit :

    Je vous remercie de la remarque car j’ai senti en l’écrivant que je faisais un raccourci très « occidental » dans le sens où la Russie n’est pas « multiculturelle »de façon visible comme en France ou aux Etats-Unis. Et sans connaître bien l’histoire du pays on peut passer complètement à côté de cette dimension multiculturelle du pays (et je suis passée complètement à côté au moins les deux premiers mois). En général toutes les grilles d’analyses qui marchaient en France ne marchent plus ici et c’est ça qui est passionnant! J’avoue avoir encore du mal à saisir la complexité des relations entre les russes slaves, les peuples du caucase, les peuples ouzbeks, tajiks…

  3. Mais finalement tu as aimé ton sejour en Russie ?

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