Vendredi dernier, j’étais envoyée au tribunal de Khamovnitcheski, à Moscou, couvrir les événements extérieurs au procès. Sur Facebook, 600 manifestants promettaient de venir manifester leur soutien aux jeunes punkettes aux portes du tribunal Khamovnitcheski, à Moscou.
11h du matin, seule une dizaine de militants, une horde de journalistes et une trentaine de policiers sont là, barrant la route à 100m du tribunal et déballant une complexe logistique pour empécher un futur rassemblement de masse aux portes du tribunal. La journée s’annonce longue, les journalistes s’entassent aux barrières, on ne les laissera entrer qu’à 12h, en contrôllant un à un leurs passeports. Les manifestants quant à eux ne passeront pas le barrage. Première violation du droit pour un procès censé être public et accessible à tous.
Technique simple et efficace pour neutraliser une foule: la diviser puis la réduire au silence.
A midi les militants commencent à arriver plus nombreux, t-shirts à l’effigie des Pussy-riot et pancartes de soutienà la main. La police tente de confiner les manifestants sur le trottoir en leur demandant de dégager la route pour laisser passer les voitures. Puis ils font enlever une à une les voitures garées là pour dégager la rue et installent des barrieres de part et d’autre de la route. Ca y’est l’arêne est prête: au centre un bus plein de policiers et prêt à se remplir de manifestants et tout autour, une foule qui s’ammoncelle, qui se convertie rapidement en véritable Cour des miracles.
A 14h, l’ambiance commence à s’échauffer entre pro et anti pussy riot. Des orthodoxes entonnent des chants d’église accompagnés d’une guitare, un parti d’opposition libérale (LDPR) vient faire une petite manifestation, un prêtre brandit une icône de la vierge marie, une croyante pro-pussy riot tente de raisonner des croyants extrémistes, le parti d’opposition du front de gauche distribue ses tracts, une jeune fille se met à genoux et crie une prière pro-pussy riot de façon un peu hystérique, une horde de journalistes se précipite pour la filmer, les orthodoxes tentent de couvrir ses cris en chantant plus fort. Et les arrestations commencent.
Dès que quelqu’un sort de la masse par une pancarte, une cagoule pussy-riot ou une voix un peu trop forte, les policiers sautent agilement la barrière, l’attrappent et le traînent parfois très violament sous les cris de la foule « Honte sur vous » « Fascistes ». Puis le prévenu est enfermé dans le bus, et la foule se taît. Dès que les slogans reprennent, et il y a toujours des courageux pour se lancer, des arrestations s’ensuivent. Les slogans, parfois plein d’humour montrent que derrière les Pussy Riot, c’est contre Poutine que les gens se sont déplacés: « Liberté aux Pussy Riot » « La Russie sans Poutine » et un « Poutine mange les enfants » qui en fait rire plus d’un. A 100m de là, la manifestation lance le débat: les gens discutent, se disputent, rient. A peine arrivés, les leaders d’opposition Udalstov et Kasparov sont arrêtés de façon arbitraire, sans avoir eu le temps de faire quoi que ce soit. Welcome to Russia.
Drôle d’ambiance pour une drôle d’affaire qui divise la Russie
Dans l’affaire Pussy Riot, il s’agit bien d’une injustice qui permet de parler haut et fort de problèmes graves qui affectent tous les russes, à savoir, une justice absolument pas impartiale, une police violente, des prisons inhumaines. Néanmoins encore une fois, au grand dam des médias occidentaux, tout n’est pas si simple et cette affaire nourrit une caricature de l’opposition qui arrange le pouvoir et divise encore plus la société russe.
Un ami russe, Anton, entrepreneur d’une trentaine d’années et opposant par bon sens, me faisait remarquer que « pour la majorité des russes, Pussy Riot devient l’image de l’opposition à Poutine et cela n’est pas bon. Les indécis voient maintenant l’opposition comme une jeunesse punk provocatrice qui transgressent les interdits sans respecter les autres, alors que l’opposition ce sont des gens normaux, qui tous les jours souffrent de la corruption à tous les niveaux, l’éducation, la justice, et ça pourrait être un jour la Russie toute entière. Cette affaire est en train de creuser le fossé entre les pro et anti-poutine. Le soutien massif apporté par les médias occidentaux et des stars comme Madonna, ne fait que nourrir la rhétorique de Poutine d’une destabilisation orchestrée par les Etats Unis. Bien sûr la condamnation est injuste et inhumaine, mais immaginez qu’en Italie un groupe punk soit entré à St Pierre de Rome et ai demandé le départ de Berlusconi, les religieux se mettraient dans le même état qu’ici, en mélangeant tout les Pussy Riot ont réussi à faire du bruit mais risquent de diviser encore plus le pays. »
Tous ça m’a fait repenser à une interview du mari de l’une des Pussy Riot, ancien membre du collectif Voina et très bon communicant. Loin du mari éploré et meurtri que je m’attendais à voir, il avait alors déclaré dans un grand sourire être très heureux du soutien obtenu à travers le monde et ajouté de façon très lucide « Des jeunes filles, déguisées de toutes les couleurs qui chantent une prière anti-poutine et qui sont condamnées de façon injuste c’est un message très simple, que tout le monde peut comprendre. » Un message plus simple qu’une grève de la faim d’un sinistre opposant ou qu’une plainte d’une mère de famille dans un village gris du fin fond de la Sibérie.
En résumé ce qui plaît aux médias aujourd’hui, des jolies jeunes filles, des couleurs, du scandale et on est assuré d’un maximum de répercussions.
Et lorsque la sentence tombe..
A une heure du verdict, après une trentaine d’arrestations, la foule n’ose plus crier, on discute, on chuchotte, le calme avant la tempête. Un manifestant cache sa pancarte de Poutine-Hitler dans son sac plastique, et me dit « Avec ça c’est déjàun miracle que je me sois pas fait arrêter à la sortie du métro, ça se démocratise! » un sourire au lèvre.
Et puis c’est le moment du grand frisson, une jeune fille escalade un poteau et enfile une cagoule Pussy Riot en criant « Liberté Pussy Riot ». La foule reprend en coeur, la police saute la barrière et un policier escalade le poteau. Tout le monde crie « honte sur vous ». La fille arrive a s’accrocher au grillage et tente de s’échapper, la foule retient son souffle, le policier la suit, l’attrappe et ils tombent tous les deux… sur le sol turc! Atterris sur le sol de l’ambassade de Turquie, la foule espère que la Turquie va donner l’asile à la jeune fille mais, 5 minutes plus tard, ils réapparaissent tous les deux et le policier la traîne dans le panier à salade.
Le verdict tombe. 2 ans de camp. Les orthodoxe extrémistes s’écrient « Cela veut dire que Dieu est avec nous! ». La foule prostrée gronde. Les avocats interviewés assurent que l’affaire n’est pas finie, ils vont faire appel..
Et l’affaire est bien loin d’être finie..